Sur la terre comme sur le net, le monde de la distribution se divise en multimarques et mono-marques. La distribution multimarques était le modèle le plus répandu jusqu’à la fin des années 70, quand la stratégie de marque et d’identité visuelle n’était pas encore une obligation, quand les merchandisers étaient encore des étalagistes et la publicité s’appelait réclame. Quand les boutiques n’étaient pas encore des Concept-Store.

    Les premiers du genre ont pourtant vu le jour en 1957, installés par Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur du Groupe Publicis, sur les Champs-Elysées et à Saint-Germain, sur un modèle importé des Etats-Unis dont il conservera l’appellation de drugstore. A cette époque ce sont des magasins où l’on trouve tout ce qu’il y a de plus tendance pour s’habiller, se nourrir, s’informer ou se distraire, prendre soin de sa santé ou la détruire. Y compris le ronron des minets de Jacques Dutronc.

    Il faudra attendre le début des années 80 pour voir les Concept-Stores s’installer durablement dans le paysage de la distribution Française et faire école mondialement. Leurs fondateurs sont des personnalités fortes et attachantes dont l’histoire personnelle se confond avec celle de leur enseigne.

 

   L’Eclaireur. De même qu’il existe la Parsons School et la Royal Academy d’Anvers il existe une école de la mode au Maroc qui n’a pas d’adresse connue mais qui a vu naître des grands noms de cette industrie : Joseph (Ettedgui) qui installera à Londres le premier Concept-Store mode reconnu, Ralph Toledano qui présidera aux destinés de la Maison Karl Lagerfeld avant de relancer les Maisons  Guy Laroche et Chloé puis Jean Paul Gaultier, son homonyme Sidney Toledano artisan du succès de la Maison Dior, Babeth Djian fondatrice des magazines Jill et Numéro, Robert Bensoussan qui après avoir fait ses classes chez LVMH fera le succès du chausseur Jimmy Choo, et Armand Hadida fondateur il y a trente ans de L’Eclaireur, le premier Concept-Store Parisien dédié à la mode et au design. Timide et exigeant, comme tous les amoureux, cet homme à la détermination sans faille tiendra seul pendant cinq ans une station service dans le 93, ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. C’est à ce prix que ce travailleur acharné pourra réaliser son rêve, ouvrir en 1981 sa première boutique de 30 mètres carrés au sous-sol d’une galerie marchande des Champs-Elysées. Elle sera dédiée à la promotion des Collections du couple de Créateurs Marithé & François Girbaud qui vont révolutionner le jeans dans les années 80 : ils lui doivent beaucoup dans le succès de leur marque. Puis, L’Eclaireur fera découvrir à son public les écoles Belges, Japonaises, les Créateurs et les marques Italiennes d’aujourd’hui ; et aujourd’hui celles de demain. Cet acheteur hors-pair sélectionne des Collections, souvent depuis leur création, et les accompagne pendant plusieurs années en leurs consacrant un espace grandissant dans ses

magasins, que fréquentent les fashionistas les plus averties mais également les acheteurs professionnels du monde entier, présents à Paris pendant les fashion week.

 

    Ce travail en profondeur avec les marques sélectionnées leur apporte une visibilité et une crédibilité indispensable à leur développement. Armand et Martine Hadida sont aujourd’hui à la tête d’un petit empire Parisien de sept magasins aux propositions luxueuses, à la mise en scène impressionnante, tous différents. Armand est également propriétaire et Directeur Artistique du salon professionnel Tranoï. Martine et Armand Hadida sont ainsi l’un des couples les plus influents de la planète mode.

 

    Solaire, mondaine, débordante de vie et de générosité la Vénézuélienne Maria Luisa Poumaillou installe rue Cambon en 1988  sa première boutique Maria Luisa, comme Coco Chanel en son temps. Elle fera ensuite découvrir aux fashions victims le charme discret de  la jolie rue du Mont Thabor parallèle à sa clinquante voisine, la rue du faubourg Saint-Honoré. Cette grande voyageuse sera la première à se consacrer aux nouveaux stylistes Belges et Anglais. Elle ouvrira également la première boutique Parisienne de son ami le chausseur mondain Manolo Blahnik qui privilégie un savoir-faire artisanal et sexy : il est le modèle de

Christian Louboutin et Pierre Hardy. En 2010, son analyse de la distribution de la mode l’amène à fermer ses magasins et à  travailler avec les grands de la distribution : Les 3 Suisses pour lesquels elle déniche les nouveaux talents et Le Printemps du Groupe PPR chez qui elle est fashion editor et avec qui elle partage sa notoriété et son expérience d’acheteuse sur un espace dédié. Maria Luisa est de plus propriétaire et Directrice Artistique de sa marque éponyme.

    Colette est la personne la plus secrète de ce trio indispensable à la mode Parisienne. Evoquer son prénom ou celui de sa fille Sarah suffit à ce que l’on sache qu’il est question du temple de la mode. Dès son ouverture, le magasin Colette crée l’événement et apporte à Paris une énergie jubilatoire unique que la capitale avait perdu pendant dix ans, depuis  octobre 1987 lors du  crash du Black Monday. Fameux pour son bar à eau, le Concept-Store de 700 mètres carrés sur trois niveaux, inauguré en mars 97 au 213 rue Saint-Honoré, pose  les bases du marchandising de tous les magasins minimalistes, mono-marques et multimarques qui verront le jour ensuite.

    Si L’Eclaireur est un livre, Colette est un magazine qui

renouvelle ses vitrines toutes les semaines. La mise en scène des choix de Sarah, qu’il s’agisse de mode ultra-pointue, de haute technologie, de design, de livres, de cosmétiques, de CD et DVD, crée une véritable ligne éditoriale reprise par son site marchand qui donne instantanément le “La” des achats des Concept-Stores du monde entier.

    Extrêmement réservées, la mère et la fille génèrent le désir en gérant la rareté des produits qu’elles proposent : quand il n’y en a plus, c’est fini. Consécration suprême du succès public du magasin, le shopping bag de Colette, blanc à la double pastille bleue superposée, est accueilli avec la même extase que  la boite orange d’Hermès ou la bleue de Tiffany, avant même de l’avoir ouvert.

    C’est dans le Sentier, au cœur de Paris, que Colette Rousseaux a expérimenté son modèle sélectif et événementiel. Propriétaire du magasin de demi-gros Polo elle propose ses sélections quotidiennes de vêtements aux acheteurs des multimarques qui n’avaient pas le temps, ou pas le talent, de savoir choisir parmi les multiples propositions du quartier dédié à la fabrication intensive. Toute aussi discrète que sa maman qui lui a transmis la flamme, Sarah est l’acheteuse du Concept-Store. Passionnée de photographie contemporaine, elle a su s’entourer de personnalités qui semblent lui être totalement opposées et qui ont émergé à la même époque que le magasin de la rue Saint-Honoré : l’artiste André Saraiva, co-fondateur du Baron avec

Lionel Bensemoun, locomotives des nuits hypes à Paris, Calvi, New York, Miami ou Tokyo ; Olivier Zahm, OZ pour les dames et ses amis, icône de la branchitude des années 2.0, fondateur et  Directeur Artistique du magazine Purple et de son blog Purple Diary, must absolu des nuits blanches de la mode ; et Jennifer Eymere grande prêtresse du magazine Jalouse.

    Joyce à Hong Kong, Maxfield et H.Lorenzo à Los Angeles, Corso Como et Biffi à Milan, Barneys à  N.Y, 3rd Culture à Tokyo, Joseph, Brown’s et Harrod’s à Londres… chaque grande capitale mondiale se doit d’avoir son concept-store et son musée. N’appartenant à aucun Groupe de Luxe, ces hommes et ces femmes indépendants par nature sont à la fois l’œil, le nez, l’oreille et la bouche de la mode à qui ils donnent un sens. Ces temples de la mode sont indispensables à la communication des marques débutantes comme installées.

    Le must pour une marque petite ou grande est de réussir une collab’, le plus souvent une série limitée, distribuée dans un de ces concept-stores. Cela lui permettra d’obtenir des retombées dans la presse internationale et de figurer dans le vestiaire des clients forcément prescripteurs de ces magasins. Car si  le buzz se fait dans la presse et sur le net il se vend avant tout chez L’Eclaireur, Maria Luisa et Colette.

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